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Ali Cherri - mac

Le 5 juin, venez participer à l'inauguration de l'exposition "Les Veilleurs - Ali Cherri" au [mac] !

Le 02 juin 2025
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  • Le 5 juin, venez participer à l'inauguration de l'exposition "Les Veilleurs - Ali Cherri" au [mac] !

Une exposition imaginée à partir de deux totems réalisés par l'artiste Ali Cherri à l'occasion de Manifesta 13 et acquis en 2024 par les Musées de Marseille. L'exposition a été conçue en lien avec l'artiste qui a puisé dans les collections des Musées de Marseille des pièces afin de le mettre en résonance avec son œuvre sculptée, dessinée et vidéo. 

Fête d'inauguration jeudi 5 juin à partir de 19h30
Foodtruck - DJ set avec Jérémie Herreman
Une soirée animée et chaleureuse, à partager entre amis, en famille ou en solo, pour découvrir l’univers singulier d’Ali Cherri dans une atmosphère unique.
Accès libre et gratuit

 

Sommaire

    Un regard renouvelé

    Le [mac] musée d’art contemporain de Marseille présente l’exposition Les Veilleurs, conçue autour des totems The Gatekeepers Fire et Water d’Ali Cherri, acquis en 2024 par les Musées de Marseille.

    À cette occasion, le [mac] invite l’artiste à sélectionner des œuvres issues des collections des Musées de Marseille, de l’Antiquité au monde contemporain, afin de les mettre en dialogue avec ses propres sculptures, dessins et vidéos. Dans une scénographie immersive et cinématographique, Ali Cherri propose un regard renouvelé sur ces œuvres à travers les thématiques qui lui sont chères : le sommeil, la vulnérabilité, la représentation des figures du vivant...

    Une rencontre entre un artiste et des œuvres

    Le corpus de l’exposition est né d’une rencontre entre l’artiste et les objets au-delà de l’image qu’ils représentent, guidée par quelques thèmes et gestes emblématiques de sa pratique tels que : animalité, hybridation, regard, visage, matérialité, vulnérabilité et résistance.

    Au total, environ 80 pièces sont exposées, dont une large sélection d’œuvres de l’artiste, mêlant diverses typologies : sculptures, œuvres lapidaires, tableaux, objets archéologiques, photographies et vidéos. Ali Cherri les choisit comme il sélectionne les acteurs de ses films, qu’il s’agisse d’un briquetier au Soudan ou d’une dame âgée dans un village chypriote.

    Ali Cherri La Tête qui marche
    © Ali Cherri, La Tête qui marche, 2024, grès émaillé, béton, enduit, 27 x 11 x 11 cm, Collection privée. Courtesy de l’artiste
    Œuvre produite dans le cadre de l'exposition Envisagement à la Fondation Giacometti

    Ali Cherri Tête en terre endormie
    © Ali Cherri, Tête en terre endormie, 2023, acier, sable, argile, pigments,18 x 41 x 21 cm, Collection privée. Courtesy de l’artiste 
    Œuvre produite dans le cadre de l'exposition Envisagement à la Fondation Giacometti

     

    The Gatekeepers Fire and Water

    The Gatekeepers Fire and Water font partie d’un ensemble de quatre totems réalisés dans le cadre de Manifesta 13 à Marseille en 2020. Convoquant des figures inspirées du règne animal, du monde aquatique ou d’êtres fictifs monstrueux, "The Gatekeepers ", présentés au Musée des Beaux-Arts de Marseille, rendaient hommage à l’âme de tous les animaux naturalisés qui sont logés dans le Museum d’Histoire naturelle, situé à quelques pas de là, dans l’aile opposée du Palais Longchamp. Pour réaliser ces œuvres, Ali Cherri a collecté des objets de curiosités, achetés aux ventes aux enchères ou auprès d’antiquaires, provenant de Marseille ou d’ailleurs. Déchargés de leur force rituelle ou de leur première nature au gré de leur trajectoire, l’artiste a cherché à leur restituer une présence, une aura perdue. À un questionnement sur la trajectoire des biens culturels dans le monde occidental, s’ajoute une réflexion sur les éléments que l’artiste appréhende par leur matérialité, mais aussi par leur histoire.

    The Gatekeepers Ali Cherri
    Ali Cherri, The Gatekeepers, 2020, vue de l’installation au Musée des Beaux-Arts de Marseille composée des quatre totems (Fire, Earth, Wind, Water), commande de Manifesta 13 Marseille © Jean Christophe Lett. Courtesy Galerie Imane Farès

     

    Bouleverser les codes et théâtraliser l'art

    Ali Cherri a imaginé une scénographie où les objets échappent aux récits muséographiques traditionnels ou occidentaux, ainsi qu’aux classifications par aires géographiques ou périodes chronologiques établies. Privés de descriptions sur leurs origines et leur authenticité, les objets, présentés sur un pied d’égalité, semblent nous observer. Certains, exposés sur des tables lumineuses sans projeter d’ombre, paraissent perdre leur ancrage culturel et le terreau qui les a vus naître. Les salles du musée, plongées dans une semi-pénombre, renforcent une théâtralité maîtrisée.

    Les masques, les visages, ainsi que les figures animales ou hybrides qui peuplent l’exposition invitent à faire l’expérience de l’altérité. Au travers de cette exposition, Ali Cherri suit le parcours de l’objet historique, de sa découverte jusqu’à son entrée sur le marché de l’art ou dans un musée. En explorant ce que ces objets racontent de l’histoire, de la société, de la nature ou de la culture, il met en lumière ce qu’ils révèlent de chacun : la magie par laquelle ils se transforment en valeurs, en fétiches, en idoles et en totems.

    Faucon - MAM
    © Faucon, Égypte, basse époque, bois peint, collection Musée d’Archéologie Méditerranéenne de Marseille 

     

    Commissariat :
    Ali Cherri, Stéphanie Airaud
    Assistés de Christelle Faure, conservatrice stagiaire de l’INP
    Avec la participation des conservateurs et conservatrices des musées de Marseille :
    Anne Blanchet (Mission Gestion des collections), Muriel Garsson (Musée d’Archéologie Méditerranéenne), Luc Georget (Musée des Beaux-Arts), Fabrice Denise (Musée d’Histoire de Marseille), Benoit Martin (Musée d’Arts Africains, Océaniens et Amérindiens), Anne Medard (Musée d’Histoire Naturelle)

     

    Légende : © Ali Cherri, Lion, 2022, Sculpture de tête de lion rugissant en grès rose Angleterre 16e siècle, argile, sable, bois, pigment, 52 x 105 x 45 cm, Courtesy Galerie Imane Farès

     

    The Gatekeepers - Les Gardiens

    Ali Cherri

    Ali Cherri, artiste plasticien et vidéaste né à Beyrouth et installé à Paris, développe depuis trois décennies une pratique artistique pluridisciplinaire mêlant cinéma, performance, sculpture, dessin et installations.

    Ali Cherri © Dmitry Kostyukov
    Ali Cherri © Dmitry Kostyukov

    Son travail explore les différentes géographies de la violence dans son Liban natal et sa région, interrogeant les manières dont cette brutalité se diffuse dans le corps et dans le paysage physique et culturel. Issu d’une génération d’artistes libanais marquée par la guerre civile (1975-1990), son œuvre porte l’empreinte de cette instabilité.

    Puisant dans l’histoire de son pays natal ainsi que dans celles du Levant, il propose une réflexion sensible sur les traces du conflit et leurs résonances contemporaines à travers des formes artistiques variées.

    L’artiste est représenté par les galeries Imane Farès et Almine Rech.

     

    Le travail d’Ali Cherri est inspiré par les artefacts anciens et le monde naturel. Ses sculptures, dessins et installations explorent les décalages temporels entre les mondes anciens et les sociétés contemporaines. Utilisant des artefacts archéologiques comme point de départ, il étudie les limites des idéologies qui sous-tendent les fondations des nations et le mythe de la progression nationale. Son travail explore les liens entre l’archéologie, la narration historique et le patrimoine, en considérant les processus d’excavation et de déplacement des objets culturels dans les musées.

    Parmi ses expositions individuelles récentes, on peut citer Vingt-quatre fantômes par seconde (Bourse de Commerce, 2025), How I Am Monument (Vienna Secession, 2024) ; Envisagement (Institut Giacometti, 2024), Dreamless Night (Frac Bretagne, 2024 ; GAMeC, 2023), Humble and quiet and soothing as mud (Swiss Institute, 2023), Ceux qui nous regardent (CAC La Traverse, 2023), If you prick us, do we not bleed ? (National Gallery, 2022), Return of the Beast (Imane Farès, 2021), Tales from the Riverbed (Clark House, 2018), From Fragment to Whole (Jönköping County Museum, 2018), Programme Satellite 10 : Somniculus (CAPC Centre d’art contemporain de Bordeaux et Jeu de Paume, 2017), A Taxonomy of Fallacies : The Life of Dead Objects (Sursock Museum, 2016).

    Ses œuvres ont récemment été exposées à l’Institut Valencià d’Art Modern (Valence), au Jameel Arts Center (Dubaï), à Para Site (Hong Kong), au MAXXI (Rome), au Centre Pompidou (Paris), à la 22e VideoBrasil (2024), à la 15e et la 13e Biennale de Sharjah (2023, 2017), à la 5e Biennale de Kochi-Muziris (Inde, 2022), la Biennale de Venise (2022), Manifesta 13 (Marseille, 2020), la 5e Biennale industrielle d’art contemporain de l’Oural (Ekaterinbourg, 2019), et la 8e Biennale internationale d’art contemporain de Melle (Melle, 2018).

    Il a obtenu la bourse Robert E. Fulton de l’université de Harvard (2016), le prix de la Fondation Rockefeller (2017) et a été nommé pour l’Abraaj Group Art Prize (2018). En 2022, il a reçu le Lion d’argent pour sa participation à l’exposition internationale d’art de la Biennale de Venise, The Milk of Dreams.

    Ses œuvres font partie de nombreuses collections de premier plan dont MoMA: Museum of Modern Art (New York), Collection Pinault (Paris), British Museum (Londres), Art Jameel (Dubaï), Centre Pompidou (Paris), MACBA (Barcelone), Solomon R. Guggenheim Museum (New York), Mathaf (Doha), SeMA: Seoul Museum of Art (Seoul), [mac] Musée d’art contemporain de Marseille (Marseille), Musée Bonnefanten (Maastricht)...

    Trois questions à Ali Cherri

    1- De quelle manière les totems Gatekeepers Fire et Water, point de départ de l’exposition au [mac], s'inscrivent-ils dans le dialogue que vous avez souhaité créer avec les œuvres issues des collections des musées de Marseille ?

    The Gatekeepers Fire et Water font partie d’un ensemble de quatre totems réalisés dans le cadre de Manifesta 13 à Marseille en 2020 et présentés dans le hall d’entrée du Musée des Beaux Arts. Je rassemble des figures inspirées du règne animal, du monde aquatique ou d’êtres fictifs monstrueux dans un hommage à l’âme de tous les animaux naturalisés logés dans le Museum d’Histoire naturelle situé à quelques pas de là, dans l’aile opposée du Palais Longchamp. Ces piliers verticaux se substituaient aux "piliers de la connaissance", que représentent les musées, tout en faisant écho au balcon à colonnades qui relie les deux établissements.  Je me suis inspiré du processus de greffe en botanique. Lorsqu’on greffe ensemble deux espèces de végétaux, elles s’agrippent l’une à l’autre pour créer une nouvelle forme de vie. Dans cette optique, je me suis penché sur le dialogue entre le Muséum d’histoire naturelle et le musée des Beaux-Arts. Pourquoi faire entrer tous ces animaux empaillés au Muséum d’histoire naturelle et la culture aux Beaux-Arts ? Il y a là une démonstration concrète de la séparation entre nature et culture, et de la manière dont, en Occident, la connaissance est produite à partir de cette dichotomie.

    Au sein de l’exposition, ces Gatekeepers ou Gardiens sont devenus des Veilleurs. Fidèles à leur fonction première de totems, ils gardent les lieux et les récits qui unissent la communauté des êtres qui les habitent (ici les œuvres et les visiteurs), mais ils veillent aussi. L’état de veille contredit celui du sommeil. Que ce soit chez l’être humain ou l’animal, tous les sens restent en activité pour permettre une perception consciente de l’environnement. Le demi-sommeil offre également une autre manière de percevoir le monde qui nous entoure, de l’envisager. Tous les jours, nous sommes contraints à l’hypervigilance, témoins épuisés aux yeux grands ouverts. Le sommeil léger ou la veille sont une forme de résistance à cette injonction, une manière active d’être au monde, une réceptivité qui ne passe pas par le regard. On échappe ainsi à la violence du monde pour tenter de trouver d’autres réalités, d’autres possibilités pour le présent. 
    En 2024, à l’occasion de l’acquisition de The Gatekeepers Fire et Water par [mac], Stéphanie Airaud m’a proposé de penser une présentation spécifique au sein du musée d’art contemporain dans un dialogue avec les collections des musées de Marseille. Pour choisir les œuvres et objets qui allaient être conviqués, nous avons déterminé un certain nombre de thèmes directement liés aux totems, tels que l’animalité, l’hybridation, le regard, le visage, le sommeil, la vulnérabilité, etc.
    Par cette invitation à présenter mon travail au regard des œuvres conservées - pour la plupart dans les réserves-, j’ai donné une forme nouvelle à mon processus de travail habituel à travers lequel j’hybride, je greffe les objets que je collectionne aux formes que je construis. Les objets que je collectionne sont achetés dans des ventes aux enchères ou chez des antiquaires. Ils ont suivi des trajectoires complexes qui ne les ont pas menés aux cimaises des musées. Les pièces rassemblées et mise en espace au [mac] sont bien des objets de musée, pour beaucoup peu ou jamais montrés, fragmentaires, peu reconnus ou connus. Ils sont témoins de la production matérielle des civilisation humaines de l’Égypte antique au Mexique contemporain. Certains portent une histoire chargée de l’histoire coloniale des institutions qui les conservent, d’autres, aux fonctions rituels, n’ont jamais été produits pour être présentés dans un musée. Mon souhait était de leur restituer une présence, une aura perdue en les rassemblant tous ensemble, sans critères de style, d’origine ou de chronologie, de leur redonner la parole. 
    Les œuvres sont des corps brisés, abîmés par le passage du temps, altérés dans leur matérialité malmenés par l’histoire coloniale et les trajectoires suivies. Comment en tant que porteurs et témoins de ces histoires violentes, la communauté des hommes comme des œuvres peut-elle survivre, briser l’isolement ? L’exposition est faite de "rencontres horizontales" où tous les objets se présente à nous et nous regardent comme des corps parmi d’autres. Je suis à l’écoute des objets. Je souhaite enlever le masque de sens que le musée leur impose, les libérer, les regarder et les laisser nous regarder. 

    2- Qu'est ce qui a guidé vos choix parmi les pièces des collections muséales ? Comment résonnent-elles avec votre pratique artistique et les sujets qui animent votre recherche ?

    Les choix ont donc été réalisés dans un premier temps selon une approche thématique, puis les correspondances formelles entre mes œuvres et les pièces présélectionnées par les équipes du musée ont commencé à émerger. Nous avons retrouvé des visages, des regards, des masques, des figures du sommeil ou encore des chimères au sein des collections des musées d’histoire, d’archéologie méditerranéenne, des Beaux-arts, des arts africains, océaniens et amérindiens ou encore du Museum d’histoire naturelle. Les visages y sont nombreux, des masques issus de toutes les époques et continents révèlent l’intériorité, une altérité, une identité autre. Dans mon travail de sculpture, le point de départ est souvent le visage. Lorsque je trouve un objet, c’est toujours une tête qui me parle, que je sélectionne et autour de laquelle je crée un corps, une mise en scène, pour l’intégrer dans l’histoire que je veux raconter. Le potentiel de ce qu’un visage peut raconter est infini. 
    De nombreuses pièces proviennent du musée d’archéologie méditerranéenne. Mon intérêt pour l’archéologie n’est pas motivé par l’amour des ruines mais par un désir de creuser ce qui a survécu. Tandis qu’une partie de l’archéologie est conservé dans des boîtes en verre méticuleusement éclairées, et étiquetées par les musées, l’autre partie est la matière première, le site archéologique lui-même, avec toutes ses potentielles qualités sculpturales. La découverte d’un site de fouilles va de pair avec sa destruction : le plus nous déterrons, le plus nous détruisons. Le processus physique de l’excavation devient une forme de sculpture négative. 
    Les objets prélevés sur des sites antiques égyptiens ont particulièrement fait écho à un certain nombre de mes œuvres sculptées ou vidéos. Les ouchebtis, par exemple, ces petites statuettes présentes en grand nombre dans les tombes royales dialoguent naturellement avec la série Mud Capsul (2020), des briques en terre crue compressée portant des artefacts de ma collection personnelle où je fais dialoguer matière brute et mémoire enfouie. Des yeux d’incrustation provenant de masques de momie de la basse époque égyptienne évoquent Returning the Gaze (Fragment of an anonymous statue) (2024), des pièces à travers lesquelles je restitue leur regard à sept œuvres fragmentaires du musée égyptien de Turin. J’ai fait fondre des yeux en bronze pour permettre aux sculptures du musée privées de leur regard de nous voir à nouveau. Encore, une massue d’Hercule fragmentaire portant la peau du lion de Némée dialogue avec la sculpture Lion (2022) que j’ai réalisé avec une boue de sable et d’argile. La boue est un élément symbolique dans presque tous les mythes de création. Qu’il s’agisse de Gilgamesh, de Golems ou d’Adam, ils sont tous moulés dans la boue. Ainsi, ce matériau est aussi vieux que l’humanité elle-même.
    De manière plus surprenante, nous avons choisi un ensemble de peintures du musée des Beaux-arts, des natures mortes, scène de genre et une adoration des mages du 17e siècle. Cette peinture a attiré notre attention, non pas pour la scène représentée, mais pour sa vulnérabilité évidente. La couche picturale a subi de nombreuses pertes donnant à l’oeuvre l’aspect d’une peau griffée, lardée, cicatricielle. Mais elle tient pourtant fermement à la toile et les regards intenses des protagonistes se fraient un chemin à l’intérieur de ce réseau de failles. 
    A ces œuvres et natures mortes répond la série d’aquarelles Bitter Fruits Series (2024). La notion d’altération est au centre de cette série de dessins de pommes, représentées à différents stades de pourrissement. Référence au travail d’Alberto Giacometti, la pomme est consumée de l’intérieur. Métaphore de résistance, la moisissure incarne ici une force qui déconstruit les représentations de l’histoire dominante.

    3- Depuis votre première rencontre avec les musées de Marseille en 2020 à l’occasion de Manifesta13, comment a évolué votre relation, a-t-elle nourri ou transformé votre pratique ?  

    Cette rencontre initiée en 2020 pour Manifesta 13 a notamment donné lieu à la réalisation de Storage, une image photographique présentée sous forme de caisson lumineux et présentée dans l’exposition au [mac]. Elle y marque un seuil, une porte d’entrée dans un monde inconnu du grand public où sommeillent les œuvres, à savoir les réserves des musées. En photographiant les réserves des musées de Marseille, je révèle les milliers d’œuvres qui dorment ici et ailleurs. Je mets en lumière des galeries fantomatiques, les expose au regard des visiteurs et visiteuses.

    Le musée Cantini présente au même moment une exposition consacrée à l’œuvre de Giacometti. C’est l’occasion pour moi et pour le [mac] de faire connaître le travail réalisé à la Fondation Giacometti à Paris en 2023 lors de mon exposition intitulée Envisagement dont le commissaire Romain Perrin est également à l’oeuvre au musée Cantini. "Tout l’art du passé, de toutes époques, de toutes les civilisations surgit devant moi, tout est simultané, comme si l’espace prenait la place du temps"1. Je partage avec Giacometti le désir de déjouer les principes de cloisonnement propres à l’histoire de l’art occidental mais également l’attention qu’il portait à la fragilité et à la vulnérabilité. Quelques œuvres réalisées à l’occasion de cette exposition sont présentées au musée d’art contemporain et notamment La Tête qui marche, une référence à L’Homme qui marche d’Alberto Giacometti. Mais ici, la marche est déjouée, déplacée, presque rendue absurde. Sur un socle brut, semblable à un fragment archéologique, une créature hybride se dresse : un visage modelé juché sur une patte d'oiseau, troquant ainsi le corps humain pour un fragment animal. La sculpture oscille entre pesanteur et envol. 

    La proposition du [mac] d’explorer les collections des musées de Marseille à partir des Gatekeapers m’a donné l’opportunité de poursuivre le travail réalisé à la National Gallery où j’ai été invité à créer une œuvre en dialogue avec les collections du musée. Je me suis alors intéressé à la question du musée en tant que lieu politique et à l’idée d’irruption de la violence comme forme de protestation. J’ai trouvé dans les archives du musée des éléments sur des actes de vandalisme qui avaient eu lieu à la National Gallery. J’ai voulu comprendre pourquoi quelqu’un avait décidé un jour d’entrer dans ce musée et de détruire une œuvre d’art. La recherche à Marseille s’est déployée de manière circulaire, des totems aux collections, des collections à mes productions existantes, etc.  Avec la complicité des conservateurs et conservatrices des musées de la Ville, les objets identifiés en réserve ont été ramenés à la lumière des salles d’exposition, guidés par l’envie de proposer une véritable expérience de visite, un chemin à parcourir et de créer un sentiment de familiarité avec ces objets. En tant que cinéaste, je donne au spectateur un point de vue que je détermine avec ma caméra, je lui dicte ce que je vois : d’abord un paysage, puis un gros plan sur un visage, suivi de la pluie à travers la fenêtre et ainsi de suite. J’essaie de réfléchir à l’expérience de l’exposition un peu de la même façon. Je me mets donc à la place du visiteur pour penser la scénographie, l’éclairage2. Par ailleurs, les œuvres étant montrées sans leurs références académiques et muséologiques, les repères sont flous, les formes se confondent. C’est peut être comme cela que peut se construire un imaginaire universel dans le quel tout est mêlé, où on a le sentiment que tel ou tel objet nous appartient, à toutes et tous.


    1- Giacometti, "Notes sur les copies" in Luigi Carluccio, Les copies du passé, 1967, Lyon, Parus, Fages édition, Fondation Giacometti, 2013
    2 - Voir entretien avec Romain Perrin, catalogue de l’exposition Envisagement à la Fondation Giacometti, 2024. Éditions Fages, Lyon

    Alberto Giacometti et Ali Cherri en dialogue à Marseille

    Alberto Giacommeti, Sculpter le vide - Contrepoints et résonances entre deux artistes et deux expositions

    Dans un esprit de rencontre, les Musées de Marseille ont souhaité faire coïncider Les Veilleurs avec l’exposition Alberto Giacometti. Sculpter le vide, présentée du 6 juin au 28 septembre 2025 au musée Cantini, en partenariat avec la Fondation Giacometti.

    En 2024, Ali Cherri avait été invité par la Fondation Giacometti à engager un dialogue avec les plâtres du sculpteur dans le cadre de l’exposition Envisagement, dont le commissariat fut confié à Romain Perrin. Certaines de ces œuvres sont exposées au [mac] et ont été spécialement conçues en résonance avec le travail du sculpteur en prolongeant sa réflexion sur la représentation du visage humain.

    L’exposition Alberto Giacometti. Sculpter le vide est la première rétrospective du sculpteur à Marseille. Réunissant des œuvres emblématiques, sculptures en plâtre et en bronze, peintures, dessins et estampes, le parcours de l’exposition explore la question du vide, centrale dans la pratique de Giacometti, autour de laquelle s’articulent les différentes périodes de sa carrière.

    L’exposition s’achève par une présentation conjointe de dessins et estampes du sculpteur, accompagnés de documents d’archives, et de pièces antiques et extra-occidentales issues des collections marseillaises (Musée d’Archéologie Méditerranéenne - MAM et Musée d’Arts Africains, Océaniens et Amérindiens - MAAOA), pour souligner l’importance majeure de ces sources pour les recherches de l’artiste autour du vide et de l’espace.

    En associant des artefacts africains, océaniens ou méditerranéens à ses œuvres, cette discussion imaginaire orchestrée par les commissaires dit la volonté des Musées de Marseille de penser l’ensemble de ses collections comme un héritage commun à partager et à décloisonner, dans une perspective d’histoire globale, propice à l’émergence de récits pluriels de la modernité.

    "Tout l’art du passé, de toutes les époques, de toutes les civilisations, surgit devant moi, tout est simultané comme si l’espace prenait la place du temps" écrivait Giacometti en 1965. 

    La copie de la statuaire antique et des arts d’autres continents n’a cessé d’accompagner ses recherches. Giacometti saisit par le dessin la structure et l’aspect d’œuvres venues du passé et d’ailleurs, capables de restituer avec intensité le réel et la vie. Il se nourrit des créations de l’Égypte antique, d’Afrique et d’Océanie qu’il considère avec la même sensibilité, sans construire de hiérarchie. Ali Cherri partage avec Alberto Giacometti le désir de déjouer les principes de cloisonnement propres à l’histoire de l’art occidental mais également l’attention qu’il portait à la fragilité et à la vulnérabilité.

    Par cette programmation croisée entre une figure moderne majeure et un artiste contemporain de renom, les Musées de Marseille réaffirment leur ambition d’être un archipel culturel, associant entre elles époques, géographies et cultures, pour nourrir un échange toujours plus ouvert entre les publics et les collections, ouvert aux imaginaires, aux récits décentrés et aux lectures artistiques plurielles.

    Lion 2022 Ali Cherri
    © Ali Cherri, Lion, 2022, Sculpture de tête de lion rugissant en grès rose Angleterre 16e siècle, argile,
    sable, bois, pigment, 52 x 105 x 45 cm, Courtesy Galerie Imane Farès

    Faire dialoguer l'Antique

    Les œuvres antiques, sélectionnées par Ali Cherri dans les collections du musée d’Archéologie Méditerranéenne, convoquent l’archéologie, l’enfouissement mais aussi la question du regard et de l’hybridité, qui sont autant de thèmes qui résonnent avec son travail artistique.

    Ali Cherri a choisi des objets témoignant de la diversité culturelle de l’espace méditerranéen durant l’Antiquité : des statuettes égyptiennes, un bas-relief assyrien provenant d’Irak, des figurines en argile modelées à Chypre, des sculptures fragmentaires grecques et romaines. En les réunissant, il met en lumière des liens entre ces civilisations qui se sont mutuellement nourries et inspirées. Cette démarche questionne également la manière dont les musées classent et cloisonnent les œuvres en fonction de leur provenance, créant ainsi de nouvelles frontières entre des civilisations d’hier.

    Chaque objet témoigne à sa manière de ces cultures disparues et de ces temps révolus. Le bas-relief représentant un homme de profil est un vestige modeste du grand faste de la cour du roi Sargon II qui régna sur l’Assyrie au VIIIe siècle avant notre ère. Provenant du palais de Khorsabad en Irak, il figure un Mède (peuple de l’Iran ancien), reconnaissable à sa coiffure courte et à sa barbe bouclée, apportant des tributs au puissant souverain. Il est le fragment d’un empire qui fut, aux temps anciens, l’un des plus grands au monde.

    D’autres objets, en raison de leur état fragmentaire, semblent énigmatiques au premier regard, comme ce bloc de marbre blanc figurant la peau d’un animal. En y prêtant attention, on distingue la peau d’un lion recouvrant une massue. Il s’agit là des attributs du héros grec Héraclès. La dépouille animale est celle du célèbre lion de Némée qu’il tua lors du premier de ses Douze Travaux. De l’immense sculpture d’Héraclès, il ne subsiste plus que ce détail qui suffit à l’identifier.

    Tête en marbre représentant Héraclès - MAM
    © Tête en marbre représentant Héraclès, Époque hellenistique, Alexandrie, Marbre taillé, 21,5 cm, collection Musée d'Archéologie Méditerranéenne de la Ville de Marseille

     

    La sélection d’objets égyptiens illustre, quant à elle, des croyances liées à l’au-delà. Pour les anciens Égyptiens, la vie après la mort se déroulait dans une campagne luxuriante dont il fallait entretenir les champs fertiles. Afin d’échapper aux corvées liées notamment au travail de la terre, ils plaçaient dans leurs tombes des statuettes funéraires, appelés oushebtis ("ceux qui répondent"), destinées à accomplir ces tâches à leur place.

    Pour pouvoir profiter de cette vie après la mort, il était crucial de préserver le corps et l’apparence du défunt. Des soins particuliers permettaient de préserver l’intégrité du corps. Ainsi, lors de l’embaumement, les organes étaient prélevés et placés dans des vases canopes. Au nombre de quatre, ils sont ornés de couvercles représentant les quatre fils du dieu Horus, chacun veillant sur un organe. Les traits du défunt étaient également perpétués à travers des masques funéraires placés sur les momies ou des sarcophages sculptés. Le masque funéraire d’une femme datant des VII-VIe siècles avant notre ère nous fixe encore aujourd’hui de son regard cerné de khôl.

    Masque plastron funéraire féminin MAM
    © Masque Plastron funéraire féminin, IIe siècle, Égypte, Toilé stuquée et peinte, 21 cm, collection Musée d'Archéologie Méditerranéenne de la Ville de Marseille

     

    Face à de telles œuvres, nous nous sentons nous-mêmes regardés par les objets que nous contemplons. Naît alors un dialogue entre ces témoins d’un passé lointain et le présent.

    Marseille, scène culturelle méditerranéenne au cœur de l'Europe

    Riche de la diversité de ses populations, de son histoire pluriséculaire et de la vitalité de son tissu culturel, Marseille s’affirme en tant que capitale culturelle euroméditerranéenne d’envergure internationale et attire les artistes et chercheurs du monde entier. Depuis 2020, la Ville mène une politique ambitieuse d’accès à la culture et aux loisirs pour toutes et tous, en proposant une offre artistique diversifiée, ancrée dans son patrimoine et son environnement méditerranéen. Cette dynamique positionne Marseille comme une métropole moderne, inclusive et innovante.

    Deuxième ville de France, centre névralgique d’une des plus importantes métropoles en Europe et par ailleurs capitale méditerranéenne majeure, Marseille est riche d’un patrimoine exceptionnel, fruit de ses vingt-six siècles d’histoire et des trajectoires cosmopolites de celles et de ceux qui la font vivre, jusqu’à aujourd’hui.

    Le réseau mutualisé des Musées de Marseille est l’un des fleurons de cet héritage partagé. Fort d’une collection de près de 120 000 œuvres et objets d’art de toutes périodes historiques et origines géographiques, il rassemble 19 sites patrimoniaux, 7 monuments historiques majeurs, 12 musées labellisés "musée de France", 2 sites mémoriaux, 3 centres de conservation et 5 espaces de documentation, archives et bibliothèques spécialisées.

    Cet écosystème vibre d’une programmation sans cesse renouvelée et résolument ouverte à tous les publics, associant recherche d’excellence, expérimentation et valorisation du patrimoine marseillais. Maillons stratégiques de rayonnement du territoire municipal, métropolitain et régional sur la scène internationale, les Musées de Marseille sont le gage d’une politique de proximité culturelle engagée qui préserve et transmet la mémoire artistique et historique de la ville grâce à une politique de restauration ambitieuse.

    En favorisant l’accès pour toutes et tous à ses collections par des expositions renouvelées, ils mettent en lumière ce patrimoine commun, qui compose l’identité de la ville, encourage des habitantes et habitants à se réapproprier leur histoire et à tisser un lien plus étroite avec leur héritage. Avec des expositions d’envergure consacrées à des personnalités, des thématiques et des œuvres emblématiques, le renouvellement de plusieurs parcours d’exposition permanente depuis 2022 et la réouverture du [mac] musée d’art contemporain de Marseille en 2023, Marseille réaffirme son rôle de ville d’art et de culture. 685 000 visiteurs se sont rendus dans les Musées de Marseille en 2023 et 2024. L’exposition Baya. Une héroïne algérienne de l’art moderne, présentée au Centre de la Vieille Charité en 2023 a atteint le record historique de fréquentation d’une exposition temporaire au sein des Musées de Marseille. Avec 155 000 visiteurs accueillis, elle s’est hissée à la 30e place des expositions les plus visitées cette même année.

    Le programme d’événements en nocturne de "l’Été marseillais" (concerts, projections de cinéma en plein air, festivals dévolus au spectacle vivant) soutient cet élan, également conforté par l’instauration de la gratuité d’accès aux collections permanentes toutes l’année et les premiers dimanches du mois pour les expositions temporaires depuis 2021.