Nature morte au couteau
Fernand Léger, 1945-1949, huile sur toile, 73 x 60 cm
Établi aux États-Unis en 1940, Fernand Léger enseigne à l’Université de Yale en compagnie de Henri Focillon, Darius Milhaud et André Maurois, puis au Mills Collège en Californie.
Commencée à son retour des États-Unis en 1945, la Nature morte au couteau reste esthétiquement proche des nombreux paysages américains peints par Léger au cours des années précédentes, figurant très souvent des fragments d’objets abandonnés dans un environnement naturel.
L’artiste passa les étés 1943 et 1944 près d’une ferme abandonnée, à Rouses Point, au nord de New York, non loin de la frontière canadienne, ce qui explique sans doute qu’on puisse observer dans ces « paysages américains » des fragments d’objets, d’outils ou de machines, herses, tondeuses, charrues, machines à ensemencer, roues de charrette à moitié enfouies dans le sol. Ces machines abandonnées envahies par les herbes folles se révélèrent une puissante inspiration visuelle qui aiguillonna son imagination.
Léger explique lui-même : « J’ai peint une suite de paysages américains en m’inspirant du contraste que présente une machine abandonnée, devenue vieille ferraille, et la végétation qui la dévore. (…) On la voit disparaître sous les verdures et les fleurs des champs. L’opposition entre cet amas de métal tordu et les marguerites qui le fleurissent dégage un charme très vif et très attachant. » (1)
Les œuvres réalisées aux États-Unis – comme La Forêt (1942), Les fleurs dans un élément mécanique (1943), La roue noire (1944) – figurent ainsi des éléments de poutres métalliques, d’outils ou de machines traversés par les tiges, les fleurs, les feuilles ou les racines, qui s’y enroulent et en prennent possession. Cet emmêlement d’artefacts abandonnés et de présences végétales proliférant forment le prétexte et l’argument de ces tableaux très colorés, de ces compositions libres et fluides, dans lesquelles l’idée de nature morte est réinventée à la lumière d’un sentiment poétique qui semble assez nouveau dans l’œuvre de Fernand Léger. Il ne s’agit plus, en effet, d’exalter la beauté et l’efficacité de la machine et de la technologie moderne (comme il en était par exemple question dans les œuvres des années 1920) mais au contraire de focaliser l’attention sur leur abandon et leur décrépitude.
Léger déclara « pour moi [les machines agricoles abandonnées] devinrent une caractéristique essentielle du paysage américain, ce manque de soin et ce gâchis, cet abandon aveugle, et impitoyable de tout ce qui est usagé et vieilli » (2)
(1) cité par Gilles Néret, Léger, éditions Casterman, 1990, p.210.
(2) cité par Lawrence Saphire, dans le catalogue de l’exposition, Fernand Léger, Paris, Centre Pompidou, 1997-1998.
Acquisition avec l'aide du Fonds Régional d'acquisition des musées et du Fonds du patrimoine en 2002, musée Cantini, Marseille, Inv. C.02.09
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